Une trentaine d’éditeurs BD et jeunesse à Athènes

Compte rendu

juin 2024

La salle était pleine chez Giorgos Georgelos, fondateur du Greek Comics Fan Club, où se sont tenues ces rencontres qui ont réuni une trentaine de professionnels grecs et français, spécialisés en BD et jeunesse. Pour mieux comprendre la réalité de ces marchés, quelques tendances et chiffres clés ont été présentés par Nopi Chatzigeorgiou de la fondation Hellénique, Nicolas Roche et Laurence Risson (BIEF).


En France, la jeunesse et la BD forment des secteurs dynamiques avec une production qui ne cesse de se renouveler : l’essor de la romance pour les young adult, l’arrivée des audio boxes ou encore le succès de la BD jeunesse pour ne citer que quelques tendances actuelles. Représentant un chiffre très important également pour les cessions, les échanges de droit sont stables avec la Grèce avec 34 titres jeunesse et 161 en bandes dessinées cédés en 2023.


Table ronde sur les échanges franco-grecs en jeunesse et BD


"L'édition grecque en transition"

Le directeur de la librairie Ianos présente son coup de cœur 

"Traditionnellement nous avons une relation culturelle forte et le nombre de traductions du français a augmenté depuis les 10 dernières années", explique Nopi Chatzigeorgiou. S’il est impossible d’avoir des données exactes en raison notamment de la fermeture du CNL grec après la crise de 2008, l’édition se trouve aujourd’hui "dans une phase de transition" avec la réouverture du CNL et une foire du livre à Thessalonique de plus en plus fréquentée et tournée vers l’international. 

Le nombre de titres publiés en Grèce était de 12 800 en 2022 dont 2 455 en jeunesse – ce secteur, le deuxième du marché après la littérature, a connu un véritable essor depuis 10 ans avec l’ouverture de nouvelles libraires et la création de festivals jeunesse. Pour beaucoup d’éditeurs grecs, le livre jeunesse constitue 50 % du CA annuel. L’arrivée des albums pour les tout petits (0-3 ans) a procuré un nouveau souffle au marché grâce notamment à la production des éditions Ikaros ou Patakis. En non-fiction, les livres féministes figurent en haut des ventes.


La BD, un marché modeste mais en plein essor


Avec 1 500 titres publiés en 2022, le marché de la BD reste modeste en Grèce mais connaît un intérêt croissant, notamment pour les adaptations des classiques grecs, à l’image d’Aristote (éditions Ikaros, Dargaud pour la traduction française) ou des romans contemporains, mises en avant dans les rayons BD des grandes libraires Public et Ianos que les éditeurs français ont eu l’occasion de visiter en amont des rencontres. Si l’offre - à défaut de librairies spécialisées - commence à se faire une place timide dans les librairies généralistes, les ventes ne sont pas toujours au rendez-vous en raison du prix élevé des romans graphiques.


En manque de soutien public, la promotion des livres et de la lecture se fait encore difficilement. "Ce sont les éditeurs eux-mêmes qui gèrent le marché grâce à des actions privées et avec les moyens du bord. Mais l’évolution depuis la pandémie est positive", conclut Nopi Chatzigeorgiou. Pour augmenter le nombre de cessions, le ministère de la Culture a lancé GreekLit : connecting greek books to the world, un portail pour promouvoir la production éditoriale grecque et soutenir la traduction.


Katja Petrovic 


"Les Grecs commencent à lire grâce à la BD"


Grâce à Giorgos Georgelos, les rencontres se sont tenues dans un haut lieu de la BD en Grèce : le Greek Comics Fan Club que ce passionné de bandes dessinées a fondé à Athènes en 2009 et où il organise des rencontres avec son fils Vasilis, également fan du 9e art.



BIEF : Giorgos, vous avez fondé ce club il y a 15 ans, racontez-nous cette aventure !


Giorgos Georgelos : "J'ai grandi avec les bandes dessinées. La première était de Disney, plus tard j’ai découvert Astérix et Lucky Luke et ça a été le début d’une grande histoire d'amour ! Et je savais que j’étais loin d’être le seul. Tous les Grecs ont commencé à lire avec des bandes dessinées, ici nous aimons la BD et je me suis dit que nous avions besoin d'une communauté pour l’étudier, en parler et savoir combien de BD sortent chez nous et aussi d’où elles viennent. Le Greec Comics Fan Club est l'un des plus grands avec 8 000 membres, des jeunes, des moins jeunes, tous ceux qui aiment la bande dessinée."


BIEF : Quel type d’études sur la BD faites-vous ici ?


Giorgos Georgelos : "Nous ne sommes pas très organisés en Grèce, donc personne ne sait combien de titres sont publiés et vendus. Il n’y a pas de données, peut-être que les éditeurs de BD en ont, mais beaucoup ont cessé leur activité et nous n'avons pas accès à leurs archives. Nous essayons donc d’y remédier. Nous avons créé une base de données et étudions également l'histoire de la bande dessinée en Grèce. C'est pourquoi nous avons publié un catalogue qui recense tous les titres parus depuis les années 80. Les éditeurs nous connaissent et utilisent nos données. Comme nous échangeons également beaucoup avec les auteurs, les illustrateurs et les lecteurs, nous avons un retour sur la production pour savoir ce qui marche ou pas, ce qui est très important pour les éditeurs."


BIEF : Quels types d'événements organisez-vous dans ce club ?


Giorgos Georgelos : "Ici, les éditeurs, les auteurs, les illustrateurs et les lecteurs peuvent se rencontrer, lire les bandes dessinées et en discuter. Nous organisons environ 6 à 10 événements par an."


BIEF : Vous avez une très belle petite bibliothèque dans laquelle on trouve aussi des nouveautés, car vous publiez également des BD ?


Giorgos Georgelos : "Nous avons décidé de publier les BD que les éditeurs ont trop peur de publier. Nous sommes donc très fiers d'avoir sorti la série Lanfeust de Troy (Éditions Soleil) - six tomes pour l’instant et deux autres à venir pour terminer la série. Il n'y a pas eu de problème pour acheter les droits car nous sommes connus ici même si nous ne sommes pas éditeurs. Nous avons imprimé 1 000 exemplaires par tome que nous vendons uniquement au club ou dans les festivals. Nous ne l'avons pas proposé aux libraires car cela ne sert à rien. Il y a un gros problème de distribution et les ventes sur Internet sont faibles aussi car les BD, il faut les voir, les toucher, ce sont des œuvres d’art ! J'aimerais publier d’autres séries, mais nous n'avons aucun soutien financier. C'est notre passe-temps, à mon fils Vasilis et à moi. Je trouve important que les jeunes voient d'autres choses, même si nous avons des goûts similaires. C'est bon de savoir que Vasilis veut continuer ce travail."


 "Les illustrateurs grecs sont talenteux et on beaucoup à offrir"


Eleni Katsama est autrice de livres YA et travaille également comme éditrice chez Ikaros. Fondée en 1943, la prestigieuse maison qui compte deux prix Nobel grecs dans son catalogue, publie également des livres jeunesse depuis 10 ans.


"Nos publications pour les tout-petits ont fait évoluer le marché en Grèce. Notre directeur, Nikos Argyris, est très jeune mais il a du flair. Il a découvert par exemple Little Bear (Harper Collins), une série pour les 1+ qui est devenue très populaire en Grèce. Nous avons beaucoup de titres français, ce marché est l'un de mes préférés en raison des très belles illustrations. Je travaille régulièrement avec Mijade, ABC Melody, l’École des loisirs, Bayard, que je connais bien, parce que nous sommes présents à Bologne et à Francfort où nous avons vendu les droits pour notre album Tata à la maison canadienne Les 400 coups. Nous publions également un peu de BD. Nous les créons nous-mêmes avec des auteurs et illustrateurs grecs. Logicomix par exemple est devenu un bestseller en Grèce et ailleurs. Depuis une dizaine d’années, les illustrateurs grecs travaillent pour les éditeurs étrangers, ils sont talentueux et ont beaucoup à offrir."


"Une série à fort potentiel nostalgique" 

 

Roxanne Ntouranidou a 20 ans et travaille pour les éditions Komos, basées à Thessalonique. Accompagnée de son père, elle fait revivre un grand classique de la BD grecque. 

 

"Depuis 2 ans je republie des bandes dessinées sur la Grèce Antique, comme la série des comédies d’Aristophane, des adaptations des fables d'Ésope ou des tragédies grecques. La série sur Aristophane a été créée il y a 40 ans par Tassos Apostolidis, spécialiste de l’Antiquité et auteur, entre autres, d’une BD sur Aristote qui a été publiée chez Dargaud. Cette série a un fort potentiel nostalgique car beaucoup de Grecs ont grandi avec. Pour l’instant nous en avons republié 11 tomes; je suis toute seule sur le projet. Heureusement que mon père qui est imprimeur m’aide à réimprimer les vieux PDF car les originaux n’existent plus. Nous avons donc eu recours à un programme de recoloration basé sur l'IA, grâce auquel la série a fait peau neuve. Comme nous la vendons dans les boutiques des musées à travers toute la Grèce, la série est déjà traduite en français, allemand et anglais, mais je me rends compte que c’est difficile d’en vendre les droits car son style très vintage ne plaît pas forcément à quelqu’un qui n’a pas connu ces BD."

 

Propos recueillis par Katja Petrovic