"Une forte volonté de travailler ensemble !" - Retour sur le Paris Translators’ Program
En 2023, le BIEF a initié un nouveau programme dédié aux traducteurs : le Paris Translators' Program, destiné à des traducteurs expérimentés de fiction et de non-fiction à partir du français. Durant trois jours, 7 traducteurs européens sont invités pour approfondir leur connaissance de la production française, renforcer leurs relations professionnelles avec les éditeurs français et créer un réseau de traducteurs étrangers.
Au début du programme, le BIEF a réuni les principaux acteurs de la profession des traducteurs en France - l'Association des traducteurs littéraires de France (ATLF), l'École de la traduction littéraire (ETL), l'Association pour la promotion de la traduction littéraire (ATLAS) - autour d’une table ronde sur le métier et ses évolutions. Une deuxième table ronde a été consacrée aux tendances en littérature et sciences humaines et sociales en France, présentées par Nicolas Filicic, éditeur et responsable des droits étrangers aux éditions Les Belles Lettres, et Alice d’Andigné, directrice éditoriale aux éditions Robert Laffont. Autre moment important, la présentation des aides à la traduction du CNL dont les montants proposés aux éditeurs étrangers ne sont pas toujours reversés intégralement aux traducteurs. Cela constitue un véritable problème sur lequel il faudra revenir dans les années à venir.
Journée d'ouverture en présence de Jörn Cambreleng (ATLAS) et Alice d'Andigné (Robert Laffont)
Outre l’IA, toujours au centre des préoccupations, la rémunération trop faible des traducteurs reste un sujet majeur, notamment dans les pays d’Europe de l’Est où le prix du feuillet peut descendre à 2 euros (contre 12 à 16 euros par exemple en Italie).
Autre constat : toucher les droits d’auteur comme il est stipulé dans les contrats de traduction en France n’est pas un droit partout en Europe. "En Italie, la traductrice attitrée de Daniel Pennac est quasi la seule à bénéficier de ce luxe", témoigne Daniela di Lorenzo, participante italienne du programme. En Espagne, le problème se présente autrement : "Si les royalties existent à partir de 12 000 exemplaires c’est purement théorique car aucune maison d’édition ne nous informe des chiffres de vente", explique Silvia Morreno Parrado, traductrice littéraire à Malaga.
Il en résulte que de nombreux traducteurs n’arrivent plus à vivre de cette activité : parmi les 7 fellows invités cette année, 5 travaillent également comme médiathécaire, professeur d’université, éditeur, auteur et photographe.
Le groupe en route vers le festival Vo-Vf
Malgré ces obstacles, la traduction reste un métier passionnant pratiqué par des passionnés, ce qui se faisait immédiatement sentir lors des échanges avec les éditeurs et responsables de droits français (Gallimard, Le Seuil, L’Iconoclaste, Humensis et l’EHESS). Une liste de titres à fort potentiel international et dont les droits n’ont pas été vendus dans les pays d’origine des participants a été présentée à chaque fois, sachant que, de plus en plus souvent aujourd’hui, les traducteurs jouent un "rôle d’apporteur de projets" auprès des éditeurs étrangers. Un travail de longue haleine qui, grâce à ce programme, peut se développer, comme en témoigne le traducteur et auteur serbe Bojan Savić Ostojić qui a déjà signé les contrats de traduction pour trois titres découverts à Paris dont les nouvelles d’Agota Kristof.
Silvia Morreno Parrado raconte son métier à une festivalière
En clôture du programme, les Fellows étaient invités au festival Vo-Vf, entièrement dédié à la traduction et devenu un partenaire important du BIEF. Lectures, tables rondes, concerts, films... Vo-Vf, créé à Gif-sur-Yvette, en banlieue parisienne, réunit depuis plus de 10 ans des traducteurs et auteurs du monde entier. La participation au trad’dating qui consiste à expliquer le métier de traducteur en répondant aux questions des festivaliers a été un moment fortement apprécié par les fellows dont beaucoup n’ont pas l’habitude d’être ainsi mis sur le devant de la scène.
Katja PETROVIC
Retour sur le Paris Translators' Program : paroles de professionnels
Les traducteurs sont un maillon central et précieux dans la chaîne de diffusion de nos ouvrages, tant par leur travail, dont la qualité est bien sûr un critère important dans la réussite de l’édition étrangère d’un livre, que par leur rôle souvent prescripteur auprès des maisons. Marie Lemelle
Retour sur la rencontre au Seuil par Marie Lemelle, coordinatrice du service des droits étrangers :
"Maria Vlachou et l’équipe des Droits étrangers du Seuil, ainsi que Maud Simonnot, directrice de la fiction française, et Vincent Casanova, directeur des Sciences humaines s’accordent à affirmer que les éditeurs ont été très heureux de recevoir les traducteurs de cette nouvelle édition du Paris Translators’ Program, et très impressionnés par le parcours de chacun, leur niveau d’expertise, leur enthousiasme et leur curiosité. Après une présentation de la maison et de ses principales collections, nous avons fait un tour de table et chaque fellow a pu se présenter et partager avec nous ses domaines d’intérêts. Ce moment fut l’occasion d’échanger très librement sur des expériences variées, des conditions de travail très différentes, et surtout l’amour du livre, avec quelques anecdotes bien amusantes !
Nous avons beaucoup appris en les écoutant, sur le marché de leur pays, le fonctionnement des maisons d’édition pour lesquelles ils travaillent, leurs rapports avec les auteurs, et les évolutions à venir dans les prochaines années. Les traducteurs sont un maillon central et précieux dans la chaîne de diffusion de nos ouvrages, tant par leur travail, dont la qualité est bien sûr un critère important dans la réussite de l’édition étrangère d’un livre, que par leur rôle souvent prescripteur auprès des maisons. Nous avions déjà des échanges nourris avec certains, qui sont parfois des interlocuteurs directs avant même les éditeurs, mais cette rencontre s’est déjà révélée fructueuse (nous avons signé dans la foulée un nouveau contrat pour la langue serbe, grâce à l’un des traducteurs présents) et les nouveaux liens ont d’ores et déjà été renforcés."
Nous avons été partout très bien accueillis et l’on sentait que ces rendez-vous avaient été pensés et préparés en amont. Chacun d’entre nous repart avec une pile de livres à proposer, il y en avait vraiment pour tous les goûts. Zsófia Molnár
Zsófia Molnár et Martyna M. Lemanczyk au BIEF
Zsófia Molnár traduit des polars, des romans et la littérature jeunesse du français vers le hongrois. Pendant le programme, elle a rencontré six collègues traducteur européens, dont Martyna M. Lemańczyk qui traduit du tchèque et du polonais vers le français. Voici leurs impressions sur ce temps passé ensemble à Paris.
Zsófia Molnár : "Le plus utile pour moi c’était le contact entre nous, traducteurs européens. C’est important de connaître les pratiques et la situation des collègues. Le trad’dating au festival Vo-Vf était également un moment super. C’est un format original et c’est assez rare en Hongrie que les traducteurs soient au centre de l’intérêt. J’ai aussi découvert plein de livres à traduire pendant le festival."
Martyna M. Lemańczyk : "Les rencontres avec les éditeurs français m’ont également énormément apporté, je sentais un grand investissement et une vraie volonté de collaborer avec nous. C’est précieux de se rencontrer et de rester en contact, de pouvoir écrire pour obtenir les PDF des livres, d’être informé des nouveautés en étant loin. Je repars avec plein d’idées et de livres que j’ai envie de traduire, cela m’a boosté !"
Zsófia Molnár : "Effectivement, nous avons été partout très bien accueillis et l’on sentait que ces rendez-vous avaient été pensés et préparés en amont. Chacun d’entre nous repart avec une pile de livres à proposer, il y en avait vraiment pour tous les goûts. Dans notre groupe, nous échangeons sur nos lectures, nous ne sommes pas en concurrence, c’est très agréable. Après cette semaine passée ensemble non-stop à Paris, nous connaissons les goûts des uns et des autres pour pouvoir se donner des conseils, cela aide aussi beaucoup !"
Propos recueillis par Katja PETROVIC