Retour sur la Seoul international book fair
Moins de mètres carrés et des stands nationaux moins élaborés graphiquement : la situation économique sud-coréenne, tendue depuis deux ans, a eu un effet sur le Salon. L’inflation pèse sur les budgets des lecteurs, le gouvernement ne soutient plus le secteur de l’édition dans les mêmes proportions qu’avant et le taux de change du won plutôt en défaveur des Coréens, joue contre les échanges de droits.
Pour autant, le salon présentait comme à l’accoutumée un espace international - composé cette année de l’Arabie saoudite (invité d’honneur), d’Oman, de Taiwan (invité d’honneur 2025), de la Thaïlande, de la Norvège, du Canada (via son ambassade), du Chili (via Prochile) et de la France. De grands éditeurs généralistes (Minumsa, Changbi, Munhakdongne, The Open Book) et un nombre important d’éditeurs jeunesse spécialisés étaient présents. Des publications proches du livre d’artiste ont été proposées par les éditeurs sur un "marché aux puces."
Côté français, le pavillon accueillait 8 éditeurs : Nathan, Fleurus-Mango-Saltimbanque, Hachette Pratique, Dargaud Shanghai, l’agence BiMot culture (qui représentait Un chat la nuit et ABC Melody), L’école des Loisirs et l’Élan Vert. Trois maisons (Ça et Là, Aux forges de Vulcain et Albin Michel) avaient par ailleurs étés invitées par l’Association des éditeurs qui organisait, en amont du salon, deux journées de promotion des publications coréennes auprès d’éditeurs étrangers. L’autrice Léa Murawiec, dont le roman graphique Le grand vide (éditions 2024) vient d’être traduit en coréen, faisait également partie de la délégation.
Les éditeurs coréens et le public sont toujours curieux du programme français et fidèles au rendez-vous sur le stand, ce qui fait de ce salon un évènement dynamique et stimulant pour les participants français : "Une super foire, tous les clients sont venus avec de bons contrats en perspective. Le seul bémol est le taux de change qui semble ralentir un peu les transactions. Sinon, toujours au top la Corée !", déclare Marie Dessaix, directrice des droits de Nathan.
Les livres coréens pour la jeunesse sont de très belle facture et témoignent d’une grande liberté de création ; il n’est donc pas étonnant que les échanges de droits franco-coréens se fassent en majorité pour des publications jeunesse (230 contrats en 2023).
Morgane Le Goanvec en rendez-vous à Séoul
"Je suis contente d’avoir pu revenir après une si longue absence depuis le Covid et d’avoir renoué des contacts directs avec les éditeurs coréens, d’autant que ces derniers participent assez peu aux foires en Europe", explique Morgane Le Goanvec, chargée des droits étrangers chez Fleurus pour Mango, Rustica, Mame et d’autres. "Mes RDV concernaient majoritairement le catalogue jeunesse, avec un intérêt prioritaire pour les albums, mais j’ai aussi pu rencontrer pas mal d’éditeurs intéressés par les documentaires et les titres d’activités qui constituent une part importante de notre catalogue."
Après la jeunesse, c’est la fiction qui a connu le plus de cessions entre la France et la Corée du Sud en 2023 (127 contrats signés par les éditeurs français). David Meulemans, fondateur des éditions Aux forges de Vulcain, invité pour découvrir le marché local et envisager des achats de droits, observe que les Coréens sont toujours très forts en soft power. "Ils veulent vraiment vendre leurs œuvres. Je les ai sentis un peu plus frileux dans l'acquisition. J'ai été un peu étonné que de nombreux interlocuteurs ne parlent pas anglais. Quant au marché coréen, le lectorat est très féminin - je pense que c'est une différence culturelle forte. Le féminisme progresse, mais le contexte social est tellement différent que les textes féministes mis en avant par les maisons ne m'apparaissent pas très solubles en France. À vue de nez, je trouve leur rayon 'littérature générale' un peu plus imaginatif, un peu moins réaliste qu’en France."
Les agents coréens demeurent en effet des intermédiaires quasi incontournables dans les relations d’échanges de droits, en partie parce que les éditeurs ne sont pas à l’aise en anglais. À l’inverse de ce qu’il se passe dans d’autres pays, ils ne travaillent pas en exclusivité et cohabitent les uns avec les autres sur les mêmes titres. Depuis quelques années, ils sont également occupés à vendre les productions coréennes à l'image des webtoon qui rencontrent beaucoup de succès à l'étranger.
En tout état de cause, les professionnels coréens sont dans une dynamique d’achat mais aussi de vente de droits, et se positionnent progressivement sur la scène internationale, tout particulièrement de l’édition jeunesse (leur stand collectif à Bologne en est le signe). En une décennie, ils sont devenus des partenaires autant que des concurrents pour l’édition jeunesse française. Alors qu’ils sont de plus en plus occupés à vendre leurs droits, venir à leur rencontre à Séoul est l’occasion de discussions plus personnelles et d’une découverte plus approfondie de leur marché.
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