Retour sur l’invitation de la France au Festival du livre de Budapest
La 29e édition du festival a accueilli 70 000 visiteurs, 151 stands étaient répartis sur deux grandes halles dont le stand France qui était pensé comme un espace de forum autour du mot "Réflexion". Près de 1 000 titres en français ont été exposés et vendus par les équipes de la librairie Prélude, seule librairie francophone à Budapest, située au rez-de-chaussée de l’Institut français en Hongrie.
Huit maisons d’édition françaises - ABC Melody, Gallimard, Mijade, Éditions Père Fouettard, Plon, Presses de la Cité, Adverbum et Lester Agency - étaient réunies au "rights corner international". "C'est avant tout une foire tournée vers les lecteurs et cela se ressent : il y a une réelle effervescence autour des stands des maisons d'édition du pays ce qui fait plaisir à voir, mais cela mobilise nos collègues hongrois qui ont peu de temps pour venir nous voir. Néanmoins, les échanges que j'ai pu avoir ont été intéressants et j'ai pu discuter avec plusieurs collègues hongrois en allant prospecter", témoigne Inès Saadani, responsable des droits aux Éditions Père Fouettard.
Publier et vendre malgré la censure et les pressions politiques
Également au rendez-vous : sept auteurs français qui ont présenté leurs livres publiés en Hongrie en 2024. Leur diversité a permis de représenter un large spectre de genres littéraires, du roman à la littérature jeunesse, de la bande dessinée aux sciences humaines et sociales. Ainsi, Pierre Assouline a présenté Le Nageur, paru chez Gallimard. La chroniqueuse judiciaire pour Le Monde, Pascale Robert Diard, était reçue pour La Petite Menteuse et Arnaud Dudek pour son premier roman, Rester sage. Pour la littérature jeunesse, Marie-Aude Murail était venue avec sa fille Constance Murail, co-autrice, à l’occasion de la publication du quatrième tome de Sauveur et fils. Magali Le Huche était invitée par son éditeur hongrois pour sa série d’album Paco – Pépé en hongrois – qui rencontre un grand succès en Hongrie. De son côté, Zanzim représentait la bande dessinée avec Peau d’homme. Enfin, en sciences humaines et sociales, une table ronde était consacrée à Retour à Reims de Didier Eribon en présence du sociologue Agoston Faber qui est également son traducteur et du journaliste Ádám András Kanicsár.
Pierre Assouline, Marie-Aude Murail, Arnaud Dudek et Nina Yargekov invités à Budapest
Outre le grand intérêt du public pour ces auteurs, leur présence a mis en évidence les difficultés des professionnels de l’édition en Hongrie en raison d’une forme de censure et de pressions politiques grandissantes. À titre d’exemple, il est interdit de vendre des livres traitant d’homosexualité ou de sexualité à moins de 200 m d’une école ou d’une église sous peine d’amende. Au-delà de cette distance, ces livres doivent être vendus sous blister. Dans ce contexte, on peut se féliciter que les maisons hongroises aient pris le risque de vendre sur leurs stands (sous blister) les ouvrages de Marie-Aude Murail, Zanzim, ou encore Pascale Robert-Diard et Didier Eribon alors que le festival se trouve à moins de 200 m d’une école et d’une église. Sur le stand France, les livres, proposés uniquement en français, étaient vendus sans blister.
Le français, troisième langue la plus traduite en Hongrie
Une programmation à destination des professionnels a également été proposée au festival. Une première table ronde sur les structures et tendances des éditions française et hongroise a été modérée par Nicolas Roche, directeur général du BIEF, en présence de Katalin Gál, directrice du festival, Judith Rosenzweig, directrice des droits chez Gallimard, et de l’attachée culturelle de l’ambassade, Sophie Sellier. Elle a permis de valoriser les différents dispositifs d’aide, dont le programme d’aide à la publication (PAP Kosztolányi) porté par l’Institut français en Hongrie.
Les autres tables rondes étaient dédiées à la créativité de l’édition jeunesse indépendante (avec la participation de Stéphane Husar, fondateur d’ABC Melody), aux adaptations littéraires à l’écran ou encore à la traduction dans un pays où le français demeure la 3e langue la plus traduite. Afin de soutenir le travail des traducteurs, dont le nombre est en baisse, l’Institut français en Hongrie a annoncé la création d’un prix annuel de la traduction du français vers le hongrois. La remise lors de la cérémonie d’ouverture du Festival en 2025 permettra de valoriser à nouveau l'édition française et de maintenir la dynamique engagée par la présence française en 2024.
Sophie Sellier, attachée culturelle à l’Institut français en Hongrie
« De nombreux éditeurs hongrois prennent des risques audacieux»
Retour sur le festival par Laura Karayotov, directrice de l’agence Lester, spécialisée dans la vente de droits français en Europe centrale et de l’Est.
BIEF : Quelles sont vos impressions sur le Festival international du livre de Budapest et l’invitation d’honneur de la France ?
"La foire de Budapest concentre en un lieu et sur quatre jours les acteurs majeurs du marché éditorial hongrois. Le salon, dédié au public, a lieu au milieu du park Millenaris au sein d'un bâtiment industriel rénové et baigné de lumière naturelle. Le cadre est une invitation à la promenade et attire de très nombreux visiteurs. L'avantage des salons locaux, c'est que d'un coup d'œil on peut identifier le profil de chaque maison d'édition, leur dimension et les rapports de force qui opèrent entre elles. L'invitation d'honneur de la France était réussie. En amont de l'événement, les participants français ont reçu l'annuaire des éditeurs hongrois et un programme d'événements aussi bien culturels qu'institutionnels. Plusieurs maisons hongroises ont publié des titres français importants à cette occasion, je pense notamment à La Petite Menteuse de Pascale Robert-Diard chez Park."
BIEF : Comment s’est passée la foire pour l’agence Lester ? Aviez-vous beaucoup de rendez-vous ?
"Je suis très contente de ce déplacement que j'avais initialement prévu pour 2020 et qui a été reporté à cause de la pandémie. J'ai pu profiter de la mise en avant de la production française dans le cadre de l'invitation d'honneur. Connaissant déjà une grande majorité de partenaires hongrois, j'ai pu faire une bonne vingtaine de rendez-vous sur deux jours et parfois rencontrer pour la première fois en personne des éditeurs avec lesquels l'agence collabore depuis des années. C'était émouvant ! Les petites maisons n'ont pas le budget pour se déplacer sur les grandes foires internationales et c'est un vrai plus d'aller à leur rencontre. Bien sûr ce n'est pas le même rythme qu'à Francfort, mais les rencontres sont plus qualitatives puisque les éditeurs prennent le temps de montrer leurs livres directement sur leur stand."
BIEF : Spécialiste de l’édition en Europe de l’Est et centrale, vous connaissez bien le marché hongrois. Quelles sont ses évolutions et tendances ?
" En effet, l'agence travaille avec les éditeurs hongrois depuis plus de 10 ans mais se déplacer apporte toujours un vrai plus. Ce déplacement a aussi joué le rôle d'un tour de chauffe avant Francfort, ce qui a permis d'identifier les titres qui se démarquent ou au contraire qui ne sont pas pertinent pour ce marché très spécifique. Côté tendances, elles sont en tout point similaires à ce que l’on constate ailleurs : production raisonnée, prise de risque réduite (il est plus difficile de placer de nouveaux noms plutôt que des auteurs bestsellers qui rassurent), virage vers une littérature plus commerciale (fiction féminine, saga familiale, historique, polar), et pour la non-fiction beaucoup de bien-être et psychologie en plus d'histoire et sciences. En jeunesse, pratique et bande dessinée, on commence à voir des choses assez audacieuses qui sortent des codes de l'Europe centrale mais ce sont des livres très chers à produire. Il y a aussi régulièrement des intérêts pour le fonds, car beaucoup d’auteurs français n'ont pas encore été traduits en hongrois. J'ai par exemple parlé de Blaise Cendrars ou Sébastien Japrisot avec une éditrice, nous verrons si cela va aboutir."
BIEF : Qu’en est-il de la censure actuellement pour les éditeurs hongrois ?
"Certains sujets sont difficiles voire interdits, la Hongrie ayant adopté une loi proche de la loi anti-propagande LGBT russe. Je trouve cependant que de nombreux éditeurs mettent un point d'honneur à publier spécifiquement des livres qui invitent au débat d'idées, et prennent des risques audacieux... à leur échelle. J'ai par exemple rencontré un éditeur qui s'intéresse à Connemara de Nicolas Mathieu, un autre qui veut publier des livres sur comment éduquer les petits garçons à être féministes et un autre encore qui cherche du young adult contemporain sur le deuil d'un parent. Il y a encore quelques années, ce genre de titre n'était absolument pas demandé ce qui est bien le signe que les lignes bougent."
Propos recueillis par Katja Petrovic
PAYS