Quelle place pour les auteurs francophones en France et à l’international ?
Le constat est unanime : les lignes bougent et les auteurs d’expression française ont gagné en visibilité dans les librairies mais aussi dans les médias même si elle reste cantonnée à certains médias spécialisés comme RFI, précise Élisabeth Daldoul, fondatrice des éditions Elyzad en Tunisie qui a aussi un bureau à Paris : "Être diffusé et distribué par un partenaire reconnu comme Harmonia Mundi, c’est s’assurer une présence en librairie, une visibilité pour ses auteurs et être une force de proposition."
Élisabeth Daldoul, Rodney Saint-Éloi, Emmanuelle Collas, Olivia Snaje, Corinne Fleury, Philippe Rey
S’installer en France favorise non seulement l’échange entre les pays du Nord et du Sud dans l’espace francophone, mais aussi entre les pays Sud, précise Corinne Fleury, cofondatrice des éditions Atelier des nomades à Maurice : "La circulation entre les îles dans l’océan Indien est souvent difficile et elle passe toujours par la capitale. C’est à Paris également que nos auteurs peuvent avoir accès aux médias." Si cette visibilité bénéficie désormais à certains auteurs d’expression française, pour Corinne Fleury c’est au risque d’un effacement d’une partie de leur catalogue qui ne bénéficie pas de la même attention.
Même constat chez Rodney Saint-Éloi, fondateur des éditions Mémoire d’encrier installées au Québec, pour qui cet effacement peut être dû au décalage que peut véhiculer le point de vue des auteurs francophones et qui n’est pas toujours conforme aux attentes des lecteurs en France.
Penser la francophonie autrement qu’à la périphérie
"Penser la francophonie autrement qu’à la périphérie n’est effectivement pas gagné", constate également Emmanuelle Collas, fondatrice des éditions éponymes, citant l’exemple de son auteure Djaïli Amadou Amal (Prix Goncourt des lycéens en 2020 pour Les Impatientes) qui est certes "parvenue à faire passer le message sur l’esclavage en Afrique. Cependant, lorsque son discours n’est pas politiquement correct, le message ne passe plus." Pour Philippe Rey, éditeur de Mohamed Mbougar Sarr (prix Goncourt 2021) et d’Éric Chacour, lauréat du Prix des 5 continents de la Francophonie, "les auteurs francophones arrivent à capter l’attention s’ils arrivent à transcender leur lieu de départ."
Une plus forte visibilité à l’étranger
Si ces différences peuvent parfois constituer un frein, elles peuvent également ouvrir des portes, notamment vers l’international. Ainsi, Philippe Rey constate que "vendre les droits des auteurs francophones à l’étranger est quelquefois plus facile que pour les auteurs français de son catalogue, notamment en Allemagne, Italie, Espagne et Corée du Sud."
Karim Kattan sur la liste du prix Renaudot
Une attention croissante est due aussi à une plus grande présence des auteurs francophones sur les listes des grands prix littéraires, comme en témoigne Elisabeth Daldoul dont l’auteur palestinien Karim Kattan, écrivant en français, a gagné le Prix des 5 continents de la francophonie 2021 pour Le Palais des deux collines et dont le nouveau roman L’Éden à l’aube figure actuellement sur la liste du prix Renaudot.
La deuxième sélection du Goncourt 2024 en est également un bel exemple : sur les huit auteurs retenus trois sont d’expression française Kamel Daoud, Gaël Faye et Abdellah Taïa. "C’est grâce aux auteurs francophones que la langue française est internationale", souligne Emmanuelle Colas. Et pour Rodney Saint-Éloi, qui publie des auteurs notamment en langues créoles, ce sont ces "langues souterraines qui libèrent la langue française."