Le fellowship d’éditeurs francophones de jeunesse et de bande dessinée a fêté ses cinq ans

Compte rendu

janvier 2025

Cette année, les fellows ont davantage profité du Salon du livre et de la presse jeunesse qui fêtait ses 40 ans et accueillait le Fellowship au sein de ses rencontres professionnelles internationales. Des rencontres riches d’enseignement autour de la relation auteur-illustrateur/éditeur, du multilinguisme dans la littérature jeunesse (avec entre autres l’association Dulala), de la lecture aux tout-petits (avec L.I.R.E et l’Agence quand les livres relient) ou encore la présentation des agences du livre en région.


Hélène Montero, éditrice chez Askip en Suisse, a particulièrement apprécié la rencontre avec les agences régionales : "C’est génial de voir les structures qui existent en France, cela donne évidemment envie de pouvoir en bénéficier dans nos pays. J’ai l’impression que suivant les contextes, nous sommes parfois bien loin de ce type d’offre… Cependant, ces présentations m’ont rendue curieuse d’aller voir ces petites maisons d’édition."



Table ronde sur le livre jeunesse multilingue


Également au programme : deux ateliers dispensés par La Fontaine O Livres qui se tenaient au Centre national du livre. Le premier portait autour des échanges de droits en langue française associés à la mise en place de la nouvelle aide proposée par le Centre national du livre en 2024, et le second sur le graphisme. La présence du Syndicat national de l’édition a permis par ailleurs d’éclairer les fellows sur le marché éditorial français mais aussi sur son marché à l’international ainsi que sur ses actions vers la jeunesse et notamment Les Petits champions de la lecture qui commence à "s’exporter" au-delà de l’Hexagone.



Des actions pour inciter les jeunes à lire


D’autres rendez-vous ont eu lieu à Paris, avec d’une part une libraire (Inès Belghiti, Le Petit Ruisseau) où les fellows ont appréhendé toutes les problématiques de rayonnage, de livraison et des  retours ainsi que le lien privilégié à entretenir avec un diffuseur. Matthieu Raynaud et Violette Tastet d’Harmonia Mundi étaient présents pour compléter la présentation de la libraire. Une chaîne du livre que les fellows nous envient mais qui pourtant existe, à sa façon, dans leurs pays grâce aux efforts des éditeurs et de l’inventivité qu’ils déploient face aux difficultés de diffusion et de distribution.


Néanmoins, beaucoup peuvent imprimer dans leur propre pays réduisant ainsi les coûts de transport et de mise en vente sur des marchés où le pouvoir d’achat est très restreint pour les produits culturels. Hasmig Chahinian a présenté les nombreuses actions que le Centre national de la littérature jeunesse mène dans et hors les murs de la BNF : IBBY, Takam Tikou, La revue des livres pour enfants, des actions sociales et la rénovation de la salle de lecture du CNLJ en cours afin d’accueillir le jeune public.


Nous avons créé des liens très forts. Ce sont des liens humains, d’amitié avant tout, mais aussi, professionnels. C’est tellement important d’ouvrir nos champs de vision et de compréhension sur les autres pratiques. 



Ces rendez-vous ont parfait le panorama de la multitude d’événements menés en direction de la lecture pour les jeunes en France. Désireux de lier des contacts durables avec les éditeurs français, les fellows ont également partagé avec les acteurs du livre rencontrés, entre eux et avec l’équipe du BIEF ce qui fait la spécificité de leurs marchés :


  • de nombreux lecteurs en attente de lecture accessible et évoquant l’environnement culturel et social dont ils se sentent proches ;
  • des coûts de production élevés pour certains mais le désir de rendre le livre moins coûteux tout en restant attractif, qualitatif et exigeant car les livres s’adressent à des "lecteurs en devenir" ;
  • des livres multilingues diversifiant l’offre pour les tout-petits mais également en adéquation avec la présence de langues maternelles, officielles ou dialectales, en plus du français, propres à chacun des pays des fellows.



Ines Belghiti de la libraire Le Petit Ruisseau (à droite) 


Emmanuelle Berny de Spirupresse au Bénin avoue qu’elle ne s’était jamais posé la question du multilinguisme et qu’elle l’envisage désormais comme une possibilité de développement pour ses publications. Des liens à faire perdurer afin que les éditeurs francophones existent, persistent et fassent naître de beaux livres en langue française et en langue du monde pour leurs jeunes lecteurs au travers de leurs créations ou des échanges qu’ils feront avec d’autres éditeurs de par le monde. 


"Nous avons créé des liens très forts. Ce sont des liens humains, d’amitié avant tout, mais aussi, professionnels. C’est tellement important d’ouvrir nos champs de vision et de compréhension sur les autres pratiques. Ces amitiés peuvent aussi être des jalons dans le monde de l’édition. Je serai heureuse de recevoir mes fellows en Suisse si des événements les intéressent, ou d’aller découvrir ce qui se passe chez eux, ou encore de programmer des rendez-vous lors de foires internationales", témoigne encore l’éditrice suisse Hélène Montero.


Ce programme reçoit le soutien du ministère de la Culture, de l’Organisation internationale de la Francophonie et du programme Ressources éducatives de l’Institut français. Il est organisé en partenariat avec le Salon du livre et de la presse jeunesse, du Centre national du livre, du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du Centre national de littérature jeunesse.



Stéphanie SUCHECKI





Paroles d'éditrice


Joëlle Betsey Maestracci, éditrice à l’Île Maurice


À l’Île Maurice, la pérennité d’une maison d’édition se joue au niveau de la motivation à endosser plusieurs casquettes. Joëlle Betsey Maestracci est ainsi éditrice, responsable de production et "livreuse". Elle a participé au fellowship avec la maison d’édition Vizavi et vient également de créer sa propre maison dédiée à la jeunesse, Pielo.


Joëlle Betsey Maestracci


BIEF : Pourriez-vous présenter le contexte dans lequel vous travaillez ? Quelles sont les caractéristiques du marché du livre à Maurice ?


Joëlle Betsey Maestracci: "J'ai l’opportunité de collaborer avec l’île de La Réunion comme illustratrice jeunesse et cela me permet de me tenir régulièrement à jour des activités organisées autour du livre jeunesse. La dynamique du livre est complètement différente à l’île sœur, où se trouvent des libraires et bibliothécaires investis mettant souvent des actions et échanges entre lecteurs et acteurs du livre. C’est une vraie opportunité pour moi d’évoluer à leur contact. Je proposerai en début d’année prochaine des actions entre l’île Maurice, l’île de la Réunion et Madagascar, je suis certaine que nous pouvons réaliser des projets ensemble. D’ailleurs, la bande dessinée que je publie dans ma nouvelle maison d’édition Pielo est un projet commun entre un illustrateur malgache et un auteur mauricien."


BIEF : Un des grands défis reste la distribution. Quelles solutions avez-vous trouvées ?


Joëlle Betsey Maestracci: "La distribution des livres se fait principalement via une entreprise unique qui possède plusieurs sites de vente à travers l’île, elle livre aussi la majorité des librairies et supermarchés - un pourcentage de 40% sur le prix de vente lui est alloué. Je gère moi-même la livraison et le suivi des ventes pour tous les points de vente qui ne font pas partie de leur réseau. Il existe une quantité infime de libraires à Maurice, la majorité sont plutôt des vendeurs de " papier", souvent incapables de conseiller leur clientèle. Cela est dû à un manque de formation et d’accès à la lecture des titres proposés. Heureusement l’Institut français à l’île Maurice est un pôle essentiel autour de l’univers du livre. Je me rapprocherai de l’Institut français afin de voir comment nous pourrions collaborer et travailler ensemble en 2025."


BIEF : Qu’avez-vous retenu du fellowship et que peut-il vous apporter dans les directions à prendre pour votre nouvelle maison d’édition ?


Joëlle Betsey Maestracci: "Ce fellowship m’a permis de mieux positionner ma maison d’édition en analysant mieux les courants, les tendances et nouveautés de finitions diverses (encres, formats...). À Maurice, nous avons un choix très restreint pour un produit original ou haut de gamme (vernis et encres spécifiques, support adapté au sujet du livre). Alors, comme beaucoup d’éditeurs dans les pays d’Afrique, je me tourne vers les imprimeurs indiens rencontrés à la Foire du livre jeunesse de Bologne en 2024 avec qui je vais collaborer prochainement. Ma passion de l’édition nécessite de continuer à faire véhiculer les valeurs morales, de parler parfois de sujets plus graves via le biais de l’humour. Étant moi-même illustratrice jeunesse, je ressens doublement cette angoisse et cette excitation à l’ébauche de chaque nouveau livre, je pense que cela m’aide à mieux accompagner mes partenaires. Notre jeune public est exigeant et nous oblige à toujours nous dépasser et c’est fantastique pour me remettre en question ! L’une de mes priorités était de permettre à de jeunes/nouveaux auteurs et illustrateurs de mettre en avant leurs compétences, de créer une passerelle inter-îles et la Métropole et de faire voyager nos talents conjointement. Ce fellowship a confirmé cet axe de développement."


BIEF : Quelle est votre priorité dans votre métier d’éditrice ?


Joëlle Betsey Maestracci: "J’ai le rêve d’amener le livre à ceux qui n’ont pas la chance d’y avoir accès. Je m’engage au quotidien auprès des auteurs/autrices et illustrateurs/illustratrices à transcrire avec authenticité notre vision et notre envie de faire évoluer le monde du livre à l’île Maurice. Toucher juste, faire une analyse de la cible et du marché local/régional afin de proposer une littérature variée. Tenir compte du pouvoir d’achat des habitants est capital : c’est souvent par un manque de moyens financiers que de nombreuses familles mauriciennes ne peuvent accéder à la lecture et le taux d’illettrisme reste encore très élevé (environ 15%).



S'unir c'est se mélanger. Une histoire de poules 
aux éditions Père Fouettard


Au Salon de Montreuil, j’ai été enthousiasmée par la ligne éditoriale du Père Fouettard, son ton quelque peu impertinent, joyeux et piquant. Qui plus est, mon grand coup de cœur est allé à Laurent Cardon, l’auteur et l’illustrateur de la série de 5 livres sur l’univers des poules de cette maison d’édition, lors de notre rencontre. J’ai trouvé que c’était une idée brillante de véhiculer des messages d’amitié, d’entraide, de féminisme, de découverte de soi et des autres. J’ai absolument voulu le présenter aux autres fellows de cette année afin de mettre en place une collaboration d’achat de droits et d’animation de lecture et d’atelier de dessin et d’écriture. Cinq des fellows (Emmanuelle Berny de Spirupresse au Bénin, Fano Razafimamonjirabe de Teny à Madagascar, Nacéra Khiat de Arambook en Algérie ainsi que Phuong Hien Pham de Nha Nam au Vietnam) ont été enthousiasmés par cette proposition. Le premier retour positif reçu du CNL va nous aider à développer ce projet, ce sera à chacun d’entre nous de continuer à renforcer notre lien commun et à poursuivre de nouvelles collaborations dans le futur. Nacéra Khiat a déjà rencontré Ondine Cotto au CNL pour constituer le dossier d’aides à l’achat de droits avec les éditions du Père Fouettard. Florent Grandin, directeur de la maison d’édition, a également confirmé vouloir faciliter cet achat de droits."



Propos recueillis par Stéphanie SUCHECKI