Le BIEF continue de rapprocher les acteurs de l’édition francophone
Après les échanges très riches lors des Rendez-vous du livre francophone que le BIEF a organisé en octobre dernier, la réflexion sur les coopération éditoriales entre pays francophones se poursuit. Le fellowship destiné aux éditeurs francophones spécialisés en littérature et en sciences humaines et sociales a été l'occasion de rappeler les principales caractéristiques de ces marchés.
Éléments clés des marchés francophones
À la différence des pays francophones du Nord, l'Afrique - et notamment le Maghreb - se caractérisent par une démographie dynamique avec une population très jeune. Le français, bien que souvent langue officielle, n’est pas toujours majoritairement parlé et coexiste avec des langues locales. Les taux d’alphabétisation sont disparates. Les marchés sont parfois limités par la taille de leur population à l’image du Togo avec ses 8 millions d’habitants, ce qui amène les éditeurs de ces pays à développer leurs maisons et leur activité au-delà de leurs frontières.
Les tirages sont souvent restreints et les prix de vente varient beaucoup entre les pays de la Francophonie du Nord et ceux du Sud, où la moyenne se situe autour de 4 €. L’export des livres français, qui concerne en premier lieu la Belgique, la Suisse et le Québec, joue également vers le Maghreb, l’océan Indien et l’Afrique subsaharienne où il représente une part majoritaire du marché en dépit des prix de vente trop élevés pour la population locale.
Pour rendre compte du monde du livre francophone, trois participants ont présenté leurs maisons d’édition et leur façon de travailler dans des contextes très différents.
Table ronde au Centre national du livre
Québec
Barbara Caretta-Debays, éditrice aux éditions Écosociété, a présenté le marché québécois. Bien structuré, il permet aux éditeurs de bénéficier à l’échelle locale et fédérale de subventions pour l’édition et la traduction qui peuvent également s’adresser aux éditeurs étrangers traduisant des auteurs québécois. Le Québec compte près de 9 millions d’habitants et environ 300 éditeurs dont beaucoup de petites maisons indépendantes et un réseau de librairies bien développé. Les ouvrages étrangers comptent pour 50% des ventes.
Un stand au Salon du livre de Yaoundé
Cameroun
"Le marché du livre camerounais se concentre principalement sur les manuels scolaires, soit 90% des ventes" explique Arthur Pango des éditions Afrédit qui publient des livres scolaires, mais aussi de la littérature, du développement personnel et de la non-fiction avec un focus sur les essais consacrés au développement de l'Afrique face à la mondialisation. Le Cameroun, où le français et l’anglais sont les deux langues officielles, possède 30 millions d'habitants dont 70% ont moins de 25 ans – "un vivier important de lecteurs même si les jeunes sont accros aux écrans." Bien que le pays compte de nombreux éditeurs, peu sont actifs dans la durée. La distribution est informelle et les points de vente incluent des lieux inhabituels comme des salons de coiffure ou des stations-service. Le piratage et les coûts d’importation élevés sont des défis majeurs pour les acteurs de la chaîne du livre.
Maroc
Le marché marocain est en croissance, avec un fort développement du secteur scolaire. Les librairies et maisons d’édition indépendantes se multiplient et récemment un nouveau salon du livre international a ouvert ses portes à Rabat qui sera capitale mondiale du livre UNESCO en 2026. Cependant le piratage est répandu et "de plus en plus de jeunes lecteurs se tournent vers des ouvrages en anglais", explique Yacine Retnani qui a récemment repris la maison d’édition La Croisée des Chemins, fondée par son père à Casablanca il y a 44 ans. "Les livres francophones étaient absents au Maroc à l’époque mis à part le scolaire. Mes parents étaient pionniers dans ce domaine."
Aujourd’hui la maison compte 1 500 titres - livres d’art, non-fiction et fiction, dont une collection dédiée aux jeunes auteurs africains.
Cette table ronde a permis de dresser un état des lieux des marchés francophones, mettant en évidence leur diversité et leurs enjeux. Les échanges ont souligné l’importance de structurer les chaînes de distribution et de renforcer les collaborations entre les acteurs du livre dans ces régions et avec les éditeurs français.
Katja PETROVIC, Pierre MYSZKOWSKI
Paroles d'éditeurs
Barbara Caretta-Debays, éditrice chez Écosociété au Québec
Collaborant déjà ponctuellement avec les éditeurs français, Barbara Caretta-Debays a profité du programme pour créer des liens avec les fellows francophones dans la perspective de futurs coéditions.
Barbara Caretta-Debays
"La maison a été fondée en 1993 par des militants écologistes qui ressentaient le besoin de publier des livres sur les enjeux environnementaux. Aujourd’hui la maison marche très bien, depuis quelques années nous publions également de la BD documentaire pour donner une seconde vie à nos essais. Pendant ce fellowship, j’ai fait des rencontres extraordinaires, c’est très inspirant de rencontrer les éditeurs français mais aussi d’autres éditeurs de la francophonie. Ce serait intéressant pour moi de faire des coéditions avec eux. Pour l’anecdote : nous avons publié l’essai Chocolaté : Le goût amer de la culture du cacao de Samy Manga. Pendant ce fellowship je me suis rendue compte que ce livre a été également publié par Yacine Retnani, notre fellow marocain. Pourtant le titre n’est pas diffusé au Cameroun, pays d’origine de l’auteur, ce qui a interpellé le participant camerounais Arthur Pango qui va essayer d’y remédier. Cela montre bien les enjeux de l’édition francophone. Concernant les éditeurs français, nous avons déjà fait des coéditions avec Les Petits Matins ou Rue de l’échiquier. Nous collaborons occasionnellement avec des maisons indépendantes dont le profil correspond au nôtre."
Samer Abdo, éditeur à L’Orient des Livres au Liban
L’Orient des Livres est une maison d’édition libanaise prioritairement francophone qui publie également en arabe et en anglais dans le but de "faire connaître la culture libanaise qui risque de disparaître."
Samer Abdo
"Avec nos publications, nous voulons établir un pont entre l’Orient et l’Occident et promouvoir la littérature arabe et libanaise à travers des traductions. Nous traduisons également des auteurs contemporains francophones. Un de nos titres phares est Beyrouth 2020 : journal d’un effondrement, de Charif Majdalani, lauréat du prix Spécial du Jury Femina en 2020. Nous avons déjà fait des coéditions avec Actes Sud et Plon et, en 2023, j’ai participé au Paris Book Market. Étant donné les relations entre le Liban et la France, nous sommes sûrs que nos livres intéressent les Français. Ce n’est pas le côté commercial qui nous intéresse mais de donner un aperçu de ce qui se passe chez nous.
Le marché au Liban est très difficile : en 2019 nous avons vécu la révolution, puis la crise sanitaire, l’explosion du port de Beyrouth et c’est à nouveau la guerre. À la création de notre maison en 2013 nous publiions une vingtaine de livres par an, mais depuis 2019 nous n’en avons parfois publié que deux, juste pour dire que nous sommes toujours là. En 2023, on a eu l’impression que la vie reprenait et que l’on pouvait augmenter notre production. La deuxième édition du festival Beyrouth livre organisé par l’Institut français a eu lieu, c’est un évènement sur lequel nous comptons beaucoup pour vendre nos livres. Puis nous avons de nouveau connu la guerre mais nous avons plein de projets que nous espérons lancer en janvier. Publier des livres c’est une vocation et nous souhaitons faire connaître la culture libanaise qui risque de disparaître."
Propos recueillis par Katja PETROVIC