L’enjeu des coéditions et des cessions de droits

Compte rendu

octobre 2024

Si les exportations des éditeurs français représentent la part majoritaire des flux de livres dans l’espace francophone, les coéditions et les cessions de droits entre éditeurs français et francophones peuvent aussi constituer une réponse pour une meilleure prise en compte des réalités du marché. Pourtant, les échanges de droits du français vers le français restent aujourd’hui embryonnaires avec environ 200 contrats en 2023 sur près de 15 000 cessions et coéditions.


Face à ce constat, Régine Hatchondo, présidente du Centre national du livre, a rappelé la volonté du CNL d’accompagner le développement des cessions de droits par les éditeurs français auprès des éditeurs du monde francophone en proposant depuis 2024 un nouveau dispositif d’aide. L’objectif de cette aide est de parvenir pour les titres concernés à des prix de vente accessibles dans les pays visés, quand on sait que les prix à l’export sont souvent dissuasifs, notamment en grand format.


Nicolas Roche, Amar Ingrachen, Solène Chabanais, Régine Hatchondo 


De son côté Solène Chabanais, directrice des droits étrangers aux éditions Albin Michel et présidente de la Commission internationale du SNE, a rappelé la réflexion commune de la part de professionnels du livre français pour encourager la cession de droits du français vers le français. "La filière du livre est en action pour fluidifier et personnaliser les échanges avec leurs partenaires francophones."


Multiplier les rencontres entre éditeurs de l’espace francophone


C’est aussi dans cet esprit que le BIEF a multiplié ces dernières années les rencontres entre les professionnels du livre de l’espace francophone, notamment à travers les programmes Fellowship destinés aux éditeurs francophones de jeunesse, BD, littérature et SHS, proposés depuis 2020. Ayant pour sa part déjà accueilli les participants chez Albin Michel, Solène Chabanais mentionne néanmoins le peu de demandes formulées par les éditeurs francophones pour acquérir les droits pour leur pays.


Les participants du fellowship francophone pour éditeurs de littérature et de SHS, Paris 2023


De leur côté Yasmîn Issaka-Coubageat, directrice éditoriale des éditions Graines de Pensées au Togo, et Amar Ingrachen, cofondateur des éditions Frantz Fanon en Algérie, ont fait part de leurs difficultés à acquérir des droits auprès d’éditeurs français en raison de la priorité donnée à l’export. "Souvent le service export donne son accord trop tard. Lorsque le livre arrive chez nous, il n’est plus d’actualité et il se peut qu’il ait été piraté entre-temps", explique Amar Ingrachen. 


Décloisonner la réflexion entre services des droits et export

 

Décloisonner la réflexion entre service des droits et service export permettrait sans doute de faciliter les échanges et les coopérations éditoriales. Kamel Yahia, directeur export Madrigall, souligne qu’il est plus facile de mener ce travail au sein d’un groupe où toutes ces fonctions sont intégrées. "J’ai un avis consultatif de la part de nos diffuseurs, basé sur la connaissance du marché et la fiabilité du partenaire. Il ne faut pas opposer l’export et les cessions", explique-il, non sans souligner aussi que les auteurs francophones sont peu nombreux à vouloir conserver leurs droits pour le marché de leur pays d’origine.


L'édition marocaine de Sexe et mensonges de Leïla Slimani qui a gardé ses droits pour le Maroc 


Cependant, il n’est pas toujours simple pour les éditeurs francophones d’identifier le bon interlocuteur dans les maisons françaises et les demandes d’achat de droits restent quelquefois sans réponse, comme en témoignent Yasmîn Issaka-Coubageat et Amar Ingrachen. À l’occasion de la présentation du dispositif d’aide des cessions de droits du français vers le français, la présidente du Centre national du livre, Régine Hatchondo, a souligné à quel point il s’agissait là d’enjeux commerciaux, mais avant tout politiques, à prendre en compte dans les groupes et les maisons d’édition.


Le Paris Book Market ouvert aux éditeurs francophones


Amar Ingrachen, un éditeur francophone heureux d'avoir participé au Paris Book Market en 2024  


Si certains éditeurs francophones souhaitent acquérir les droits de livres français, notamment ceux écrits par les auteurs francophones issus de leurs pays, l’intérêt manifesté pour la production francophone de la part des éditeurs français semble moindre. "Il est difficile de faire la promotion de nos auteurs qui sont peu présents dans les médias. Parfois il y a un article mais cela reste confidentiel", remarque Yasmîn Issaka-Coubageat qui était présente au stand collectif des éditeurs francophones organisé par le BIEF à la Foire du livre de Francfort en 2017 et 2018. "Cela nous a permis d’accroître notre offre et notre visibilité mais il y a peu d’intérêt pour nos catalogues y compris de la part des diffuseurs."


Prenant compte de ce déséquilibre, le BIEF a donné la possibilité à une délégation d’éditeurs francophones de participer au Paris Book Market et d’y présenter leurs catalogues au même titre que les éditeurs français. Amar Ingrachen en faisait partie :"Le Paris Book Market représente pour nous une très belle opportunité qui, nous l’espérons, se renouvellera. Nous ne sommes pas connus à l’international mais le lien avec les éditeurs étrangers s’est établi."


Katja Petrovic et Pierre Myszkowski