"Les libraires sont les figures de proue de la francophonie"
Proposées en amont du Festival du livre de Paris, ces journées sont l’occasion pour les diffuseurs des groupes d’édition français de présenter une actualité ou un temps fort de leur programme mais aussi d’évoquer leur activité auprès des libraires à l’export. Ont répondu à l’appel 8 diffuseurs disposant chacun d’une séquence de 40 minutes pour composer un programme "à la carte". Étaient également présents des auteurs à succès et appréciés des libraires francophones, tels David Foenkinos et Timothée de Fontbelle, invités par le directeur export de Madrigall, Kamel Yahia, des éditeurs venus présenter un nouveau label, tel Glenn Tavennec qui vient de lancer pour le compte des éditions du Seuil le label Verso consacré à la "New Romance", ou encore Benjamin Fogel qui dirige Playlist society, une maison d’édition diffusée par Pollen et qui propose "des essais, des monographies et des entretiens, le tout en version pop".
Pour le groupe Hachette, c’est l’éditeur Philippe Robinet, à la tête d’un catalogue prestigieux, Calmann-Lévy, qui a raconté l’histoire de la maison créée en 1836. Plus classiquement, certains diffuseurs ont profité de ces journées pour exposer leur activité auprès des libraires francophones, à l’image de Matthieu Raynaud, directeur commercial d’Harmonia Mundi, qui participait pour la première fois à ce programme tout comme Annie Eulry-Guyon, représentante du grand export chez Actes Sud, qui a présenté les nouveautés de la rentrée littéraire.
Pour les libraires francophones, cette année plus de 40, dont certains venaient d’Amérique latine (Le Comptoir à Santiago du Chili ou la Librairie française à Mexico), d’Asie (Carnets d’Asie à Bangkok, Le Pigeonnier à Taipei), et bien sûr d’Afrique et d’Europe, ce programme est une occasion de retrouver leurs interlocuteurs à l’export (responsables exports, diffuseurs et distributeurs) mais aussi d’échanger avec les partenaires institutionnels, à commencer par le CNL. Comme a tenu à le rappeler, en ouverture du programme, la présidente du CNL Régine Hatchondo : "Les libraires sont des acteurs précieux, car ils sont les figures de proue de la francophonie et jouent ainsi un rôle géostratégique important". L’action du CNL en faveur des libraires francophones à l’étranger revêt des formes multiples et bien concrètes comme l’a illustré l’exemple donné par Montse Porta de la librairie Jaimes, dont le programme de rencontres littéraires a bénéficié d’une aide du CNL.
Le CNL est également aux côtés de l’AILF dans de nombreux projets dont plusieurs ont été exposés lors de ces journées. Le plus emblématique, la Caravane du livre en Afrique et dans l’océan Indien, a fait l’objet d’un coup de projecteur avec notamment la diffusion d’un film réalisé par la Librairie de France à Abidjan, mettant en avant l’ensemble des acteurs du livre mobilisés pour cette opération en Côte d’Ivoire.
David Foenkinos présente son nouveau roman La vie heureuse
Au-delà des actions sur le terrain, l’AILF qui regroupe une centaine de librairies francophones dans le monde propose des séminaires de formation aux libraires francophones à l’étranger et publie un catalogue rassemblant leurs "coups de cœur", toujours dans le but de mieux faire vivre l’édition locale aux côtés des livres exportés français. Ainsi, en 2024, l’AILF a réalisé, en collaboration avec des libraires francophones venant d’Espagne, du Bénin, du Liban, du Maroc et de Taiwan, un premier catalogue thématique consacré aux "Héroïnes" comprenant plus de 100 titres de littérature jeunesse, dont un tiers provenant de l’édition francophone.
Outre les catalogues, les webinaires de l’AILF valorisent les différents domaines de l’édition en permettant aux libraires de développer de nouveaux rayons au sein de leurs librairies. Lors de ces séminaires en ligne, la parole est donnée aux experts qui présentent les secteurs du polar, de la jeunesse, de la BD ou des sciences humaines. Les bonnes pratiques de promotion sont également échangées entre éditeurs de pays francophones. Tout comme les catalogues, ces webinaires ouvrent sur une plus grande bibliodiversité permettant aux librairies francophones de mieux découvrir la richesse de la production éditoriale.
Pierre Myszkowski et Alicia Hett
Retour sur cet événement avec Sylvie Guillot, responsable du développement export pour le groupe Média-Participations.
BIEF: C'est la deuxième fois que vous participez à ces rencontres. Quel est l'intérêt de rencontrer les libraires francophones au CNL pour un grand diffuseur comme vous ?
Sylvie Guillot: "À l'origine c'était le BIEF qui voulait proposer aux libraires francophones venant pour le Festival du livre de rencontrer tous les acteurs diffuseurs-distributeurs de la place de Paris. J'ai trouvé l'idée très bonne de se voir dans un seul et même endroit car auparavant chaque diffuseur organisait quelque chose de son côté. C'est très agréable d'avoir carte blanche et très intéressant aussi car chacun propose des maisons et des marques très différentes. Ainsi, les libraires francophones ont pu découvrir des auteurs connus et moins connus, c'est ce qui fait l'intérêt de cette journée. L'année dernière il y avait Madrigall, Hachette, Interforum et Média-Participations et cette année Harmonia Mundi et Actes Sud se sont joints à cette initiative. Cela donne un éventail encore plus large."
BIEF : "Beaucoup de libraires francophones à l’étranger sont en difficulté. Les diffuseurs sont-ils suffisamment au fait de ces problèmes ?
Sylvie Guillot : "Oui, je pense que les diffuseurs sont conscients de ce qui se passe. Le problème c’est que l’anglais prend le dessus dans de nombreux pays francophones. Au Maghreb c’est particulièrement flagrant, et puis il y a les coûts qui sont énormes pour les libraires francophones, même si le gouvernement français les aide beaucoup - il y a le CNL, il y a des aides au niveau des transports justement, on ne peut pas dire que les librairies à l’export n’ont pas d’aide. Mais il est vrai que par rapport à l’offre des éditeurs anglophones nous ne faisons pas le poids. Nous n’avons pas la même approche marketing. En France nous sommes très littéraires, nous misons sur le bel objet. Résultat : nous n’arrivons pas à intégrer ces pays-là parce que nous n’avons pas la même culture littéraire, il faudrait changer cette mentalité. Nous sommes un peu dans notre pré carré. Et cela ne concerne pas que la littérature. La bande dessinée aussi est très franco-belge !"
BIEF : Pour présenter le groupe Média-Participations vous aviez, cette année encore, carte blanche. Vu les marques du groupe, je m’attendais à une présentation des titres de BD. Mais vous avez opté pour Verso, le nouveau label du Seuil. Pourquoi ce choix ?
Sylvie Guillot : "L’année dernière j’avais présenté Dargaud avec une adaptation BD sur l’œuvre de Georges Simenon parce que 2023 était l’année Simenon. Là, je voulais changer et présenter la littérature. Peut-être que l’an prochain, j’opterai pour la jeunesse. Média-Participations est une grande maison et comme nous avions carte blanche, c’était dur de choisir les titres que nous présentons ici, c’est une question de sensibilité du moment. Les librairies à l’export ne sont pas toujours visitées comme en France, nous communiquons essentiellement par mail et je ne suis pas sûre qu’elles se soient rendu compte que le Seuil avait lancé son nouveau logo Verso. C’était donc une belle occasion."
BIEF : Ce nouveau label met à l’honneur et au goût du jour la littérature du genre, la romance notamment, avec des auteurs en grande majorité anglophones. Pensez-vous que ce type de littérature correspond davantage à ce que cherchent à mettre en avant les libraires francophones ?
Sylvie Guillot : "Effectivement. C’est du grand public, mais du grand public de qualité et cela peut parler à tout le monde parce que nous pouvons tous lire des livres très littéraires et, parfois, en vacances lire des livres plus légers, il n’y a rien de gênant à cela. Il en faut pour tout le monde et Verso répond à ce critère de la bonne littérature populaire qui s’adresse aussi à des young adult, un secteur qui se développe énormément. Donc soyons un peu plus triviaux car pour vivre il, faut vendre et vendre du bon, voilà pourquoi j’ai fait ce choix-là."
BIEF : Parmi la quarantaine de libraires francophones qui composait la délégation aux rencontres de cette année, en connaissiez-vous déjà ?
Sylvie Guillot : "Je suis très régulièrement en contact avec les libraires francophones par mail et par téléphone et nous nous rencontrons au Festival du livre. Après, j’ai des agents qui déplacent dans le monde entier : en Martinique, en Guadeloupe, au Maroc, au Liban, à Taiwan, au Cambodge, en Australie… chacun a sa zone. Dans les magasins, ils rencontrent les acheteurs, proposent les nouveautés à venir, passent les commandes, etc. Moi, je me déplace uniquement en Suisse et au Québec. Je profite donc pleinement de ces journées pour nouer des contacts plus personnels. Je suis toujours contente quand ensuite ils m’appellent pour prendre un café lorsqu’ils passent à Paris. C’est très important pour nous de représenter la francophonie. Ce ne sont pas forcément de grosses ventes mais c’est une présence, ou disons une culture représentée à l’étranger."
Propos recueillis par Katja PETROVIC