Entreprendre et innover dans le monde francophone : l’exemple du livre audio

Compte rendu

octobre 2024

Révolution numérique oblige, le livre audio s’est développé à grande vitesse également dans l’espace francophone où il offre de nouvelles perspectives tant au niveau social, culturel que commercial. Dans la francophonie comme ailleurs, l’audio joue un rôle important pour rendre le livre accessible aux publics dits empêchés, comme en témoigne Manick Siar-Titeca, fondatrice de la plateforme Une Voix… Une Histoire en Guadeloupe. "Il y avait un désamour pour le livre papier en raison d’un fort taux d'illettrisme (36 %). Je voulais donc proposer une alternative pour entrer autrement dans la littérature."


Un impact social


Outre l’inclusion sociale, le livre audio permet de promouvoir les auteurs locaux, souvent très jeunes et moins connus que les auteurs français dont les livres sont exportés. Lancée en 2020, en partenariat avec des maisons d'édition locales et françaises telles L'Harmattan ou Marabout, Une Voix… Une Histoire est vite devenue la plateforme de référence pour les littératures afrocaribéennes en proposant des audiobooks en français, créole, espagnol, anglais et tamoul, produits sur place, en Guyane, Martinique et à Paris. Pour avoir cocréé le Prix des sans voix, un prix du livre audio décerné par des personnes en centre pénitentiaire, Manick Siar-Titeca a été récompensée du Prix de l'impact social en 2024.

 

"Une question identitaire"


De son côté, l’entrepreneuse québécoise Joanie Tremblay est aussi une femme qui se bat pour faire entendre les voix locales. Issue du milieu de la communication, elle a cofondé Narra, la première plateforme de vente de livres audio au Québec pour leur donner plus de visibilité. "Nos œuvres en français se perdaient dans une mer de contenus anglophones et sur des plateformes étrangères. Grâce à Narra, nous avons réussi à rassembler l’offre francophone québécoise et faire résonner nos œuvres, nos langues et nos accents. Pour moi, le livre audio, c’est très identitaire." Lorsqu’elle s’est lancée dans cette aventure, en 2020, tout était à créer au niveau jurdique, au niveau des partenariats et des infrastructures à mettre en place. Aujourd’hui faire vivre cette plateforme reste un défi mais "je me refuse à laisser filer cette opportunité que représente le livre audio pour notre culture et je continuerai à me battre. C’est essentiel aussi pour prétendre à une réelle souveraineté culturelle dans l’univers numérique", explique-t-elle.

 

Une infrastructure à créer

 

Dans le même esprit, Ama Dadson a fondé Akoobooks Audio au Ghana, la première maison d’édition de livres audio en Afrique de l’Ouest proposant également une plateforme de streaming, devenue leader dans le domaine. Une initiative inspirante qui lui valut le prix Women in Tech Africa dans la catégorie Startup of the Year en 2021 et qui lui a été inspirée par sa mère. "Autrice de livres pour enfants, elle avait perdu la vue et me demandait de lui procurer des livres audio d’auteurs africains que je ne trouvais nulle part. C’est là que j'ai réalisé à quel point le livre audio représentait une vraie opportunité." Partant de zéro en cherchant elle-même des studios, des producteurs et des comédiens de théâtre pour enregistrer ses livres, Ama Dadson a réussi à développer un catalogue varié, destiné à tous les âges. Si les éditeurs locaux hésitent encore à se lancer dans cette entreprise coûteuse, l’éditrice travaille aujourd’hui avec des éditeurs partout dans le monde, notamment au Kenya et en Afrique du Sud.

 

Un coût de production élevé

 

Si le livre audio présente de nombreuses opportunités, le coût élevé de sa production et des commissions des plateformes sont les principaux freins à son développement. "Il y a effectivement un enjeu d'accompagnement par les politiques publiques. En France, nous avons la chance depuis deux ans d’avoir des aides à la production du livre audio du Centre national du livre", explique Mathilde Jablonski, vice-présidente de la commission Livre audio du SNE.


Créée en 2015, cette commission a pour but de promouvoir les livres audio auprès des prescripteurs et de faire la veille d’un marché disparate : "Entre les éditeurs Pure Players audio et ceux qui sont adossés à des groupes, les réalités sont différentes même s’ils sont confrontés aux mêmes problématiques, notamment juridiques ou fiscales. La Commission est là pour parler d’une seule voix et représenter les éditeurs de livres audio auprès des syndicats de comédiens, auprès des politiques, auprès des organismes institutionnels pour défendre leurs intérêts."  

 

Aux côtés du SNE, l’association La Plume de Paon œuvre également pour le développement du livre audio dans l’espace francophone. "Face à une offre de plus en plus importante qui émanait notamment des pays du Maghreb et de l’Afrique où la tradition de l’oralité est très forte, l’association a été créée dans le but de structurer le marché du livre audio francophone. Il y a des approches différentes selon qu’on est dans les pays du Sud ou du Nord mais nous réfléchissons aux sujets communs pour faciliter la circulation du livre audio francophone", explique sa présidente Cécile Palusinski.

Katja PETROVIC