Articles

Imprimer Partager sur Facebook Partager sur Twitter Partager sur LinkedIn

Compte rendu

Le programme Fellowship du BIEF par ceux qui y participent

juillet 2012

[17-23 mars 2012]
Quatorze éditeurs étrangers ont participé au programme Fellowship 2012 –organisé par le BIEF, avec l’appui du Cnl et le partenariat de la Sofia et du MOTif–, entre le 17 et le 23 mars 2012 à Paris.

Ils étaient douze, ils sont maintenant quatorze éditeurs étrangers à avoir participé au programme Fellowship 2012 – organisé par le BIEF, avec l’appui du Cnl et le partenariat de la Sofia et du MOTif –, qui s’est déroulé entre le 17 et le 23 mars 2012 à Paris. C’était la deuxième édition d’un programme international dont l’objectif de renforcer les liens entre les éditeurs français et leurs homologues étrangers suscite de plus en plus d’intérêt de part et d’autre.
Visite du Salon du livre, différentes interventions d’acteurs de la chaîne du livre, rendez-vous dans les maisons d’édition et au Cnl avec les éditeurs et les responsables de droits ont rythmé de façon dense et soutenue une semaine réussie sur laquelle le BIEF souhaitait revenir.

Différents échos du secteur éditorial à travers le monde
Le panorama dressé par les participants de l’état du livre dans leurs pays respectifs n’est pas apparu globalement très motivant. À commencer par la Grèce, dont le marché du livre a été rudement frappé par la crise avec 30 à 40% de ventes en moins en 2011. "Le nombre des traductions y a baissé de 50%", constate Ermioni Sakellaropoulou des éditions Livanis, à Athènes. Pourtant, les librairies indépendantes résistent relativement bien, grâce à leur clientèle de proximité, tandis que La Fnac a dû quitter le marché grec.
En Islande, c’est l’effet inverse. "Depuis la fin du prix fixe en 1995, les petites librairies ont disparu, mais c’était une bonne chose pendant la crise, car vendre des livres moins chers nous a sauvé la vie. Mieux vaut vendre peu de livres que pas du tout", pense Sif Jóhansdóttir, éditrice chez Forlagid, la plus grande maison d’édition d’Islande. Un avis contesté par la plupart des participants, dont Geoffrey Mulligan des éditions Harvill Secker à Londres, qui regrette la fermeture de 500 librairies indépendantes dans sa ville depuis l’abolition du prix unique en 1997. "Waterstone et Amazon dominent le marché et les livres un peu difficiles, telles les traductions, qui ne font que 3% du marché, y sont abandonnés très vite".
 
Même constat pour Valerie Merians, éditrice new-yorkaise à la tête de la maison Melville House, pour qui l’édition a toujours été un acte militant et qui considère aussi que "publier un livre français est une action politique". Avec son catalogue exigeant, elle résiste difficilement sur un marché dominé par Amazon. Se rajoute le problème des e-books, souvent vendus moins cher que les livres papier et dont le marché a explosé depuis trois ans.
 
Situation difficile également en Israël, où le marché est entièrement contrôlé par deux chaînes de librairies bradant les livres jusqu’à moins 80%. "Les livres sont vendus à 3 euros, c’est une vente à perte. Du coup, mon directeur de collection me demande de publier des livres qui ne se vendent pas, pour limiter les dégâts", ironise Dror Mishani des éditions Keter Books.
 
Des problèmes qui paraissent toujours moindres que les difficultés des éditeurs en Algérie, où la grande majorité des maisons d’édition appartient à l’État, qui censure la production éditoriale et contrôle la distribution des livres. "Les éditeurs indépendants doivent assurer leur propre diffusion. Pour exporter des livres, il faut passer par des coéditions avec d’autres pays arabes. En Algérie, tout est à faire, non seulement pour construire une indépendance éditoriale, mais pour préserver la profession tout court", constate Assia Moussei, directrice des éditions El-Ikhtilef.
 
"On verra si on a toujours envie de faire ce métier à la fin de cette semaine", allaient jusqu’à dire certains, mais finalement les rencontres avec les professionnels du livre français à Paris leur ont remonté le moral !
À commencer par la visite du Salon du livre, où les participants étaient accueillis sur le stand du MOTif. "C’était une bonne occasion de rencontrer de petits éditeurs indépendants qui, faute de moyens, ne viennent pas à Londres ou à Francfort", remarque Maria Leonardi, des éditions Notte Tempo à Rome.
Juste après le Salon, le BIEF avait organisé une soirée-rencontre au Cnl pour les Fellows et les responsables de droits français. "Le cadre était idéal pour se rencontrer autour d’un verre. Le nombre de participants était parfait, on avait le temps de voir tout le monde".
 
D’autres acteurs de la chaîne du livre en France ont partagé leurs expériences avec les Fellows. L’intervention de Jean-Maurice de Montrémy sur l’état de la critique littéraire en France a été particulièrement appréciée. Loïc Ducroquet, directeur de la librairie L’Écume des pages à Saint-Germain, leur a exposé la situation des libraires indépendants qui sont parfois obligés d’adapter leurs horaires pour survivre. Ont été aussi abordées la concurrence des grandes chaînes culturelles et celle, grandissante, d’Amazon. L’intervention de Geoffroy Pelletier, directeur général de la Société des Gens de Lettres, a apporté, d’après tous les participants, un éclairage fort sur la chaîne économique du livre et sur la relation auteur-éditeur.
 
Une vue d’ensemble sur le paysage éditorial français
Puis une douzaine d’éditeurs français, appartenant à des groupes ou à des maisons de taille différente, tous spécialisés en littérature et en sciences humaines, ont accueilli les participants dans leurs maisons pour leur donner un aperçu de leur catalogue et de leur situation en général. Ils ont eu l’occasion de revenir avec eux sur leurs positions face aux livres numériques, le statut du prix unique du livre, comment ils déterminent leurs lignes éditoriales, choisissent et accompagnent leurs auteurs.
 
"J’ai mieux compris la philosophie de certains éditeurs, comme par exemple POL, c’était exactement ce que j’attendais de ce programme", a déclaré Marije de Bie, responsable des achats de droits pour l’Italie et la France chez De Bezige Bij, à Amsterdam.
Patrice Hoffmann, directeur éditorial chez Flammarion, l’un des participants français du Fellowship, se dit "très favorable à ce type de programmes qui approfondissent la connaissance des éditeurs sur le terrain. C’est à la fois concret, professionnel, et cela donne une vue d’ensemble en un temps record. C’est une occasion unique pour des éditeurs étrangers de connaître le paysage éditorial français, le marché, les maisons, les responsables, mais surtout de rencontrer leur alter ego dans les maisons d’édition qu’ils visitent. C’est un outil très puissant pour intéresser de nouveaux éditeurs à la production éditoriale française. Mais c’est aussi un moyen très efficace de nouer des relations entre les éditeurs qui font partie du programme".

Et c’est ensemble, avec leurs collègues français, qu’ils ont pu comparer les points communs et les différences du monde de l’édition dans leurs pays respectifs et repérer des livres dont ils souhaiteraient acheter les droits et les éditeurs avec qui ils voudraient collaborer dans le futur. Un concept bien adapté au travail des éditeurs : « C’était tout simplement fantastique d’avoir autant de points de vue sur l’édition en France et de rencontrer nos homologues personnellement, car ce qui compte le plus dans notre travail, c’est la relation humaine », conclut la participante argentine Leonora Djament, des éditions Eterna Cadencia.
 
Le programme sera reconduit en 2013 avec de nouvelles rencontres, espérons-le, aussi diverses et intéressantes pour tous ceux qui y participeront et qui le feront vivre.

- Katja Petrovic et Aude Konan
 
 
 
Paroles de participants
 
Katharina Wulffius, Piper Verlag, Munich
« Le programme dans son ensemble était très bien organisé et vraiment motivant. Le mélange de participants issus de diverses maisons d’édition était bien choisi : ce fut donc intéressant de partager nos expériences et de constater comment les maisons d’édition fonctionnent à travers le monde entier. C’est aussi lors de moments d’échanges forts hors du programme officiel que nous avons établi un réseau de liens entre participants qui fonctionne encore aujourd’hui. En tant qu’éditeur de sciences humaines, j’ai pu constater les différences de politiques éditoriales entre éditeurs français et internationaux, quels critères comptent et ce que les différents éditeurs attendent de la publication de titres dans ce domaine. Piper Verlag est une maison d’édition généraliste, avec une forte pression de réussite commerciale ; du coup les attentes des autres maisons ont pu me sembler parfois différentes.
Durant le Salon du livre de Paris, j’ai eu du temps pour discuter de nos catalogues respectifs avec mes collègues français responsables de droits. C’est important que nous puissions parler entre nous, nous voir régulièrement pour envisager des possibilités de publier des traductions. Lors de ma visite dans les maisons d’édition françaises, il m’est apparu qu’elles avaient leurs propres caractéristiques et leur philosophie, sans entrer en compétition ; en tout cas, pas autant qu’en Allemagne. Une singularité française : le fait que les manuscrits "envoyés par la poste" puissent avoir une bonne réputation ! »
 
Eduardo Rabasa,  Editorial Sexto Piso, Mexico
"Ce programme est une bonne opportunité pour avoir un aperçu sur le terrain du marché de l’édition française, ainsi que pour rencontrer et nouer des relations avec les éditeurs internationaux participants. Je pense que le BIEF a vraiment bien organisé le programme, en termes d’équilibre des divers profils des éditeurs présents, afin que nous ayons une perspective plus globale du milieu de l’édition. En termes de contacts avec les grandes maisons d’édition comme Actes Sud, Gallimard, Grasset, etc., le programme Fellowship permet une plus grande proximité que les foires et salons du livre agités, dans lesquels il est difficile d’avoir des rendez-vous personnalisés.
Par ailleurs, l’édition mexicaine n’étant pas vraiment orientée vers l’édition internationale, il n’est pas facile pour certaines maisons d’être connues hors de ses frontières, ce qui peut être un désavantage par rapport à des maisons d’édition déjà établies, notamment les maisons espagnoles. Le programme Fellowship nous a donc permis de rencontrer des gens travaillant dans des maisons d’édition de qualité et d’établir des contacts qui, j’en suis convaincu, nous mèneront à des mutuelles opportunités professionnelles pour traduire des livres, et plus encore.
Je savais que le marché du livre français était imposant ; aujourd’hui, je ne pense pas qu’il y ait un autre pays avec une industrie littéraire aussi puissante, avec de si nombreuses maisons d’édition, des milliers de librairies, de lecteurs, etc. Avec tout le pessimisme entourant le monde de l’édition, il était vraiment plaisant de rencontrer les éditeurs français et de s’apercevoir qu’il y avait de l’espoir, après tout".
 
Dror Mishani,  Keter Books, Jérusalem
"Le programme Fellowship ? Formidable ! Sérieux et profond. Nous avons reçu un excellent accueil du BIEF et des éditeurs français. Cependant, le programme aurait peut-être pu se prolonger d’un jour ou deux afin de nous permettre de rencontrer plus d’auteurs, de critiques, etc. Le programme m’a permis de penser – ou plutôt de repenser –, et c’est le résultat le plus important pour moi. Le milieu de l’édition française est très différent du milieu israélien –, je le savais avant et j’en suis encore plus conscient aujourd’hui. J’ai été impressionné par tant de choses : le soutien aux librairies indépendantes, l’engagement des éditeurs vis-à-vis de leurs auteurs, leur attachement à la poésie et aux sciences humaines ; et cela va certainement avoir une incidence sur mes attentes ici".