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Compte rendu

Une triple présence en Turquie pour les éditeurs français

juillet 2012

[14-27 mai 2012]
Le mois de mai a été particulièrement dense pour l’Institut français d’Istanbul, où trois manifestations se sont succédé : la Semaine du livre français, les journées franco-turques des éditeurs jeunesse/BD et Istanbulles.

La Semaine du livre français (14-20 mai 2012)
Organisée par le BIEF, l’Institut français et la librairie Efy du 14 au 20 mai, la deuxième édition de la Semaine du livre français a permis de présenter, dans le grand hall de l’Institut, la sélection des "Foires du monde" du BIEF (environ 1 200 titres) ainsi que les 250 titres du catalogue jeunesse/BD publié en 2012. Lieu d’expositions temporaires, cette galerie est le lieu de passage obligé des apprenants du français et des nombreux visiteurs de l’Institut, situé dans le célèbre et très passant quartier de Taksim, dont l’Istiklal Caddesi est, dit-on, arpenté chaque jour par plus d’un million de Stambouliotes.

Istanbulles (22-27 mai 2012) : la BD française au cœur de la ville
Le Festival international Istanbulles, dont c’était aussi la deuxième édition, a été riche en événements. Dans les locaux de Yapı Kredi, banque turque qui a une importante activité d’éditeur (Yapı Credi Yayincilik, YKY), une vaste exposition présente, jusqu’en septembre, le très célèbre Red Kit, Lucky Luke pour les Turcs, qui attire plus de 300 visiteurs par jour.
Plusieurs écoles privées françaises ont mis à la disposition du festival leurs différents espaces pour présenter films, expositions de planches et performances de Jean-David Morvan, Herr Seele, Sergio Salma, tandis que le scénariste Gwen de Bonneval et le dessinateur Hugues Micol sont venus présenter leur bande dessinée Bonneval Pacha (parue chez Dargaud).

À l’Institut français, l’exposition "Regards croisés : Bandes dessinées franco-belges et turques", visitée dès le soir de l’inauguration par quelque 300 personnes, a montré le regard porté sur l’autre à travers un parcours en planches qui allait de Bécassine chez les Turcs à Corto Maltese et Largo Winch, en passant par Timour – Mission à Byzance et les incontournables Djinn de Dufaux et Mirralès, côté franco-belge, aux œuvres des auteurs turcs Turhan Selçuk, Galip Tekin Yalin Alpay ou encore Bariş Keşoglu pour illustrer l’autre point de vue.

Rencontres entre éditeurs turcs et français de jeunesse et de BD
(24 -25 mai 2012)

Quinze éditeurs français, chargés des droits ou éditeurs de maisons jeunesse et BD et plus d’une vingtaine d’éditeurs turcs, dont YKY, Inkilap, Iletişim,Tudem, NTV, sont venus participer à ces journées. Après l’Allemagne (2009), l’Italie (2010), les Pays-Bas (2011), c’est en Turquie que les éditeurs français de ces deux secteurs avaient en effet choisi de se rendre pour leur rencontre professionnelle annuelle, organisée avec le soutien de l’Institut français et le concours de l’Union des éditeurs turcs et de l’agence Akan.
La matinée du jeudi 24 mai était dévolue à des discussions croisées sur la chaîne économique du livre dans les deux pays et les secteurs de la bande dessinée et de la jeunesse. L’après-midi et le lendemain ont été l’occasion pour les éditeurs français de rencontrer leurs homologues turcs lors de rendez-vous individuels et d’une visite de librairies du quartier Taksim. Pour beaucoup, Français et Turcs, c’était leur première rencontre, les éditeurs français passant généralement par leur agent turc lors des grands rendez-vous internationaux, Francfort, Bologne ou Angoulême.
Metin Celal et Kenan Kocaturk, respectivement président et secrétaire général de l’Association des éditeurs turcs, ont présenté le paysage éditorial turc. 8 150 éditeurs sont répertoriés, dont 1 500 publient régulièrement. Le nombre de publications annuelles, qui se situait autour de 3 000 titres en 1990, n’a cessé d’augmenter ces dernières années : en 2011, ce sont 43 190 titres qui ont été publiés, en augmentation de 24% par rapport à 2010. 289 millions d’exemplaires ont été imprimés (+20% par rapport à 2010)*.
 
Les éditeurs turcs sont ouverts à la traduction, notamment pour le secteur jeunesse et BD : selon les statistiques SNE/BIEF 2011, les droits de 145 titres de jeunesse français (contre 36 en 2010) et 43 bandes dessinées ont été cédés aux éditeurs turcs (soit plus de la moitié des cessions vers cette langue)**.
 
L’édition scolaire représente 40% des publications éditoriales turques. Les manuels dépendent du ministère de l’Éducation nationale, qui les distribue gratuitement aux élèves des écoles publiques, de l’élémentaire au secondaire. Double effet pour l’ensemble de la chaîne du livre : évidemment néfaste pour la librairie, qui se voit privée d’une importante source de revenus –beaucoup d’entre elles ont dû fermer leurs portes- et malgré tout positif pour les éditeurs de jeunesse, qui se sont mis à produire de plus en plus, notamment par le biais des "livres scolaires complémentaires" produits en marge de l’édition scolaire.
 
Ilke Aykanat Cam, directrice générale et éditoriale de Tudem, a rappelé le récent développement de l’édition turque pour la jeunesse –une vingtaine d’années– et la forte croissance qu’elle connaît depuis une décennie. Presque tous les éditeurs turcs publient des ouvrages pour la jeunesse, les universités développent des départements de littérature jeunesse, tandis que les auteurs et illustrateurs sont de plus en plus nombreux.
Certes, la lecture plaisir est un concept peu développé en Turquie et la demande des éditeurs va en priorité vers le livre "utile" (documentaires, "livres scolaires complémentaires") ; le livre qui "dure" (la traduction en cartonné –rare car chère– chez YKY, d’Une question pour chaque jour (Hachette) s’est bien vendue et continue de se vendre, malgré son prix d’environ 15 €) ; ou peu onéreux (fictions) mais le lectorat est là et va grandir encore.
 
Les éditeurs français présents le confirment : Anne Bouteloup a surtout présenté aux éditeurs turcs la fiction Gallimard Jeunesse ; Johanna Brock Lacassin venue représenter Actes Sud Junior, Thierry Magnier et le Rouergue a eu des demandes également en fiction (premières lectures et "young adults"), sur des séries ou des documentaires. La nouvelle collection de documentaires tout public "Guides visuels" et les collections de premières lectures Hatier proposées par Anne Risaliti (Hatier, Didier Jeunesse) ont retenu l’attention des éditeurs turcs, mais aussi plusieurs beaux albums et livres-disques Didier Jeunesse. Avec une trentaine de titres vendus ces trois dernières années dans l’ensemble du catalogue (premières lectures, romans pour les 8-10 ans, romans ado…), la Turquie est le premier client (en nombre de titres) de Rageot Éditeur. Caroline Westberg précise d’ailleurs que les éditeurs turcs sont particulièrement "friands de séries" mais que les tirages restent pourtant peu élevés.
 
Didier Pasamonik (L’Agence BD, Paris) et Racit Casas (éditeur BD chez YKY) sont intervenus pour parler de la bande dessinée en France et en Turquie. Une tradition de bande dessinée et de caricature très forte en Turquie, notamment par le biais de nombreux magazines dont les ventes hebdomadaires avoisinent le million d’exemplaires, a ouvert la voie d’une édition de bande dessinée de qualité avec des tirages parfois élevés. Mais ce dernier ajoute que le phénomène s’est inversé au cours des années. Alors que dans les années 60 la bande dessinée était reconnue et très présente dans la presse, c’est la jeunesse qui a pris le pas depuis les années 2000.­­­­

À la rencontre des différents visages de la librairie turque
Une visite de plusieurs librairies d’Istanbul est venue compléter ce programme. À travers un parcours le long de l’Istiklal Cadessi, principale artère commerçante de l’Istanbul moderne, les éditeurs français ont pu se faire une idée de la production éditoriale telle qu’elle est présentée en librairie dans les rayons jeunesse et BD. Cette visite organisée par Canan Marasligil (coorganisatrice du festival Istanbulles) et commentée par Arden Köprülüyan, éditeur chez Tudem, a permis aussi de découvrir différents visages de la librairie turque, entre grandes enseignes, librairies générales et même librairies de livres d’occasion.
Dans presque tous les points de vente, un constat s’est imposé : le marché tant en jeunesse qu’en BD est encore largement tributaire de la prescription des écoles. L’offre proposée s’en ressent, qui privilégie les ouvrages didactiques au détriment peut-être d’une littérature jeunesse plus originale. Le concept même de librairie spécialisée en jeunesse ou en BD est d’ailleurs encore très peu répandu.
Cependant, le géant D&R (Dogan & Remzi), qui possède plusieurs points de vente en Turquie, a ouvert récemment des librairies spécialisées jeunesse "D&R Kids", auprès de qui les éditeurs turcs du secteur réalisent aujourd’hui une part essentielle de leur chiffre d’affaires. Mephisto, l’enseigne concurrente également présente sur l’Istiklal Cadessi, semble pour l’heure ne pas donner la même importance au secteur jeunesse et garde d’ailleurs une image de librairie "militante" privilégiant la littérature et les essais.
 
Entre les deux, de multiples points de vente, parfois des librairies plus traditionnelles –dissimulées dans des rues moins passantes ou, encore, à l’abri de vieilles galeries marchandes– ou des librairies de livres d’occasion, qui font peu de place aux livres de jeunesse et encore moins à la BD.
 
Dans ce paysage, la librairie Gon, entièrement spécialisée BD, tranche par son assortiment et son aménagement. Avec un choix très large de bandes dessinées qui fait la part belle aux traductions (de l’anglais d’abord, du français ensuite) ou aux versions originales, on y trouve de nombreuses BD franco-belges et, bien entendu, une sélection de titres représentatifs de la jeune BD turque. Installée à proximité du prestigieux lycée Galatasaray, Gon, librairie "indépendante et militante", fait pourtant encore figure d’exception dans le paysage plus classique de la librairie turque.
 
* Plus de chiffres dans l’organigramme Les groupes d’édition en Turquie réalisé par le BIEF, avril 2012.
** Repères statistiques SNE/BIEF, 2011

Anne Riottot, Pierre Myszkowski

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